Près de Paris, la basilique de Saint-Denis conserve une collection unique au monde de tombeaux royaux. Chaque monument est sculpté d’une représentation du défunt. Derrière les visages de pierre se cachent des destins tragiques, insolites ou mystérieux.
Vers 1263, Louis IX commande pour l’abbaye de Saint-Denis seize tombeaux sculptés. Ils doivent recouvrir les sépultures de ses prédécesseurs : Clovis, Dagobert, Hugues Capet, Philippe Auguste… Au fil des funérailles royales, la basilique s’enrichit de nouveaux monuments prestigieux. La plupart sont des gisants : une effigie sculptée du défunt est couchée dessus. Ces portraits de pierre forment une galerie de personnages parfois curieux : sous les voûtes de l’église se côtoient un faux roi, le plus jeune souverain de France, une dame à l’identité mystérieuse…
Charles Martel : une erreur historique sculptée dans la pierre
Parmi les gisants commandés par saint Louis, figure celui de Charles Martel. Les écoliers ont longtemps appris que ce personnage, grand-père de Charlemagne, a arrêté l’invasion des Arabes à Poitiers (en fait, il a surtout arrêté une expédition de pillage, mais c’est un autre sujet). Intégrer Charles Martel dans la nécropole de Saint-Denis intéressait d’autant plus saint Louis, prince obnubilé par la Croisade, que la bataille de Poitiers préfigurait de manière glorieuse le combat entre l’islam et la chrétienté.
Pour les historiens, le gisant de Charles Martel choque : il représente un homme couronné portant le sceptre. Or, Charles Martel n’a jamais été roi, mais seulement maire du palais. Ce qui n’était pas rien, car le maire du palais était le second personnage du royaume après le roi. Néanmoins, le vainqueur de Poitiers n’a jamais été sacré et n’est même jamais monté sur le trône. C’est saint Louis qui, par méconnaissance de l’histoire peut-être ou par intérêt politique plutôt, a « royalisé » cette figure victorieuse.
Charles V, le roi pessimiste
« Charles était né vieux », écrivait l’historien Jules Michelet. En effet, la santé de Charles V, roi de France au XIVe siècle, était connue pour mauvaise. Il était tellement convaincu de mourir jeune qu’il demanda à son père, qui régnait encore, l’autorisation d’être inhumé à Saint-Denis. C’est qu’il ne pensait pas survivre à son géniteur. Finalement, son père Jean le Bon trépassa en 1364 et Charles lui succéda. Le nouveau roi n’en était pas moins pessimiste sur sa longévité, car, aussitôt, il commanda à un sculpteur son gisant.
Frappé par la goutte, Charles V réussit néanmoins à se maintenir sur le trône pendant 14 ans. Il mourut à 42 ans. Son gisant attendait depuis longtemps.
Jean 1er, le bébé-roi
En circulant au milieu des gisants, vous constaterez des tombeaux d’enfants. Ce sont généralement les enfants des rois de France, morts trop tôt. Rappel que la mortalité infantile touchait à l’époque aussi bien le peuple que les princes. Parmi tous ces petits gisants, l’un est particulièrement émouvant : celui de Jean.
Le 5 juin 1316 meurt le roi de France Louis X le Hutin. Sans descendance masculine. Enfin, peut-être. Sa veuve attend en effet un enfant. Il naît quelques mois plus tard : c’est un garçon ! Voici le nouveau roi de France, Jean 1er, dit le Posthume. L’oncle du bébé, Philippe, fait probablement grise mine : le trône lui revenait si une fille était née. La déception de Philippe dure moins d’une semaine. À peine 5 jours après sa naissance, le nourrisson décède. Philippe deviendra roi de France, sous le nom de Philippe V le Long, tandis que Jean 1er rejoint les tombes de ses ancêtres à Saint-Denis.
À cause de l’extrême brièveté de son règne et de sa jeunesse, il n’a pas pu être sacré. C’est pourquoi son gisant le montre sans couronne.
Saint Louis a disparu
Sacré paradoxe : saint Louis, le roi qui transforma la basilique de Saint-Denis en nécropole royale, ne figure pas parmi les gisants. Vous aurez beau cherché : ses filles et fils sont là, mais pas lui.
Il y a pourtant bien eu un gisant de saint Louis réalisé après sa mort en 1271. Un magnifique monument funéraire même. Son tombeau était recouvert d’une plaque d’or et d’argent. Il fallait bien une œuvre à la hauteur d’un roi sanctifié par l’Église.
Mais la guerre de Cent Ans est passée par là. À une date incertaine, au XVe siècle en tout cas, le tombeau a été volé. Peut-être par des Français, peut-être par des Anglais. Les mauvaises langues accusent plutôt les moines de Saint-Denis : en pénurie d’argent, les religieux auraient fait fondre la plaque en métal précieux. Manque cruel de reconnaissance à l’égard du roi qui a contribué à la fortune de leur monastère.
La mystérieuse dame noire de Maubuisson
Un gisant laisse perplexes les historiens : fabriqué en marbre noir, il représente une femme couronnée. Ses mains jointes portent des gants et un anneau, détails uniques parmi les autres monuments funéraires entreposés à Saint-Denis. Mais on ne connaît pas avec certitude l’identité de cette élégante personne. Aucune inscription ne nous vient en aide. Tout au plus, savons-nous que le gisant provient de l’abbaye cistercienne de Maubuisson, près de Pontoise.
Devant ce mystère, les hypothèses ont fleuri. Il pourrait s’agir de :
– Blanche de Castille, la mère de saint Louis. Assez cocasse d’utiliser une pierre noire pour une femme prénommée Blanche.
– Blanche (encore une !) de Bourgogne, l’épouse emprisonnée du roi Charles IV le Bel pour adultère.
– Mahaut d’Artois, la méchante comtesse du roman Les Rois maudits
Cependant, les regards des spécialistes se tournent aujourd’hui vers une autre princesse : Marie de Brienne (1225-vers 1280), dernière impératrice française de Constantinople. Chassée avec son mari de son trône, elle se serait retirée en l’abbaye de Maubuisson. Cette identification s’appuie sur la forme de la couronne (elle semble grecque) et sur la présence des gants et de l’anneau (éléments du sacre en Orient). Une autre idée ?
Et même Du Guesclin
Saint Louis l’a ordonné : seuls les rois de France doivent avoir l’honneur de reposer dans la basilique de Saint-Denis. À la rigueur, des reines. Mais dès le siècle suivant, la règle n’est plus respectée. Les dépouilles des enfants de la Couronne prennent place, petit à petit, dans le sanctuaire.
Mais en 1380, Charles V — le roi pessimiste — fait un acte quasiment sacrilège : apprenant la mort de Bertrand du Guesclin, il ordonne que le défunt soit enterré à Saint-Denis ! Certes le héros de la guerre de Cent Ans était connétable de France, mais sa noblesse était loin d’appartenir aux fines fleurs de lys. Dès lors, la nécropole royale évolue en panthéon. Quelques autres serviteurs de l’État intégreront la basilique, le plus illustre étant Turenne, maréchal de Louis XIV.
Une centaine de princes et princesses, enfermée dans des coffres
Aucun reste des morts ne subsiste sous les tombeaux. Les Révolutionnaires de 1793, violemment antimonarchistes, ont fait le ménage. À cette date, un décret ordonne la destruction des tombeaux et l’exhumation des corps afin de récupérer le plomb. La France en guerre a alors faim de métal pour fabriquer des canons. Au final, la majorité des gisants princiers sont néanmoins sauvés en étant transférés dans l’église des Petits-Augustins à Paris. Par contre, les sépultures sont toutes violées. Leur contenu est jeté dans deux fosses communes creusées à côté de la basilique. On ajoute quelques couches de chaux pour masquer les odeurs de putréfaction et accélérer la décomposition des chairs. Car certains cadavres, embaumés, sont encore en état de pourrissement. Certains ouvriers payés à cette tâche ingrate en tombent malades.
En 1817, Louis XVIII répare cette profanation du mieux qu’il le peut. Il fait récupérer pêle-mêle les os de ses ancêtres et prédécesseurs puis les fait enfermer dans une dizaine de coffres. L’ensemble repose aujourd’hui dans un ossuaire situé dans la crypte de la basilique de Saint-Denis. Les restes de plus de 170 personnes — des rois, des reines, mais aussi des princes de sang, des abbés et des grands officiers de la monarchie — doivent s’y mélanger indistinctement.
Lire aussi : une présentation de tous les gisants sur Montjoye.net
Laisser un commentaire