Vous pensez que les églises romanes se reconnaissent à leur petite dimension ? Qu’elles sont obscures ? Que leurs architectes répugnaient à les colorer ? Bienvenue au pays des clichés !
Chez les amateurs d’églises, le style roman bénéficie d’une forte cote d’amour. Est-ce pour de bonnes raisons ? Car notre représentation de ce style frôle parfois la caricature. Pour preuve, êtes-vous d’accord avec les 3 affirmations suivantes ?
1. Les églises romanes sont petites
Pour casser ce préjugé, il suffira d’un fait : jusqu’au XVIe siècle, la plus grande église du monde fut l’abbatiale romane de Cluny. Longue de 187 m, elle dépassait non seulement toutes les églises de son temps, mais aussi les formidables cathédrales gothiques qui seront construites ensuite. Malheureusement, la destruction presque totale de ce monument au XIXe siècle a fait oublier ce record.
Vous me répliquerez que c’est l’exception qui confirme la règle. Dans les campagnes, beaucoup d’églises romanes sont modestes. Oui, mais les églises gothiques dans ces mêmes campagnes ne sont pas plus grandes.
Enfin, Cluny n’est pas si unique. L’architecture romane a connu d’autres mastodontes. Les abbayes Saint-Sernin-de-Toulouse, Saint-Remi-de-Reims, Saint-Martial-de-Limoges, Saint-Martin-de-Tours avoisinaient ou dépassaient les 100 m de long. Les commanditaires de ces bâtiments religieux ne manquaient pas d’ambition et de moyens financiers ; ils voulaient impressionner leurs contemporains (et Dieu ?) par des constructions aux dimensions hors-norme.
2. Les églises romanes sont sombres
Cette image colle si bien avec les temps supposés obscurs du Moyen Âge.
La vérité est plus nuancée. L’éclairement d’une église dépend du projet esthétique défini à la base par le commanditaire et le maître d’œuvre. En ce domaine, l’architecture romane révèle toute une palette de direction. À la pénombre des bâtiments provençaux s’oppose la clarté des monuments normands. Certaines églises expriment une ambiance mystérieuse tandis que d’autres accueillent à foison les rayons du soleil.
Le plus souvent, les architectes romans modulent la lumière selon la partie de l’édifice. L’historien de l’art Nicolas Reveyron parle de « mises en scène lumineuses ». On peut laisser dans l’obscurité une nef et, par contraste, illuminer un chœur afin de mettre en valeur l’autel ou le tombeau d’un saint fondateur. Il suffit de jouer sur le placement, le nombre et la dimension des ouvertures.
On associe l’architecture gothique à la lumière, mais faites l’expérience. N’avez-vous pas été tenté dans Notre-Dame de Paris ou Notre-Dame de Chartres de chercher le bouton d’un interrupteur ?
3. Les églises romanes sont austères
Les églises romanes nous séduisent par leur simplicité, leur sobriété et la pureté de leurs lignes architecturales. Rien ou presque ne distrait le regard : ni les vitraux qui n’ont généralement pas encore revêtu leurs couleurs chatoyantes, ni les sculptures, limitées aux chapiteaux des colonnes voire aux portails. L’importante surface des murs nus et les courbes semi-circulaires des arcs contribuent à l’image d’un art dépouillé.
Mais que regardons-nous ? Un monument qui a vieilli.
Que sont devenus les enduits colorés qui recouvraient peut-être les parements ? Que restent-ils des peintures qui ornaient les voûtes ou réveillaient les chapiteaux et les bas-reliefs des portails ? Où se cachent aujourd’hui les reliquaires dorés et scintillants de pierres précieuses ?
Au fil des siècles, les églises romanes se sont décolorées comme des vêtements trop souvent passés en machine. La faute au temps qui dégrade, effrite, ternit. La faute aussi aux hommes. Ici, ils ont masqué les peintures murales derrière un badigeon. Ailleurs, ils ont été retirés des chapelles et des chœurs les trésors religieux pour les enfermer dans des pièces à part, à l’abri de vitrines.
Autrefois, l’orfèvrerie, la peinture, la mosaïque, les pavements, tout concourait à l’intérieur comme à l’extérieur des églises, au « triomphe de la couleur » (Thérèse Castiau). Cette historienne de l’art enfonce le clou : « les édifices romans n’ont pour la plupart jamais eu, à l’exception de l’architecture cistercienne, cet aspect austère que procure aujourd’hui la nudité des murs à pierres apparentes ».
Conclusion
Au Moyen Âge, un moine nommé Goscelin de Saint-Bertin décrit son église idéale : il dit aimer les édifices « glorieux, somptueux, très élancés, très spacieux, inondés de lumière, et enfin, très beaux ». Un programme auquel auraient signé des deux mains les architectes gothiques. Et pourtant ce texte date de la seconde moitié du XIe siècle, en plein épanouissement de l’art roman…
Ne laissez pas aux constructeurs gothiques la préoccupation de donner aux édifices des dimensions exceptionnelles, un éclairement maximum et un luxe de décor. Des fidèles comme Goscelin en rêvaient et des artisans romans y travaillaient déjà.
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